Chapitre 4 : L’éclat et la fracture

La Légende courait à perdre haleine, son souffle court résonnant comme un tambour battant contre sa cage thoracique. Autour de lui, le monde changeait sans prévenir, comme si la réalité elle-même était déchirée et recousue à chaque pas. Une ruelle sombre de la cité se métamorphosait en un champ de bataille désolé ; des explosions illuminaient un ciel noirci, où des drones armés et des silhouettes humanoïdes s’affrontaient dans un chaos d'étincelles et de hurlements. Puis, en un clin d'œil, il se retrouvait dans un jardin paisible où des fontaines chantaient et des fleurs luminescentes projetaient des arcs-en-ciel délicats sur une pelouse parfaite.

Il s’arrêta un instant, le cœur battant. Était-il devenu fou ? Était-ce une hallucination ou une manipulation ? Tout ce qu'il avait vécu auparavant — les quêtes, les secrets, les intrigues — lui semblaient soudain flous, presque irréels, comme des rêves mal digérés. Le doute s’infiltrait dans son esprit comme un poison lent.

Un cri perça l’air. Il tourna la tête.

Dans le jardin parfait, une femme en armure composite d’un noir mat courait vers lui, poursuivie par deux figures mécaniques humanoïdes, luisantes de chrome et armées de lames vibrantes. Elle lui hurla quelque chose, mais ses mots furent noyés par un rugissement assourdissant : le ciel, jusqu’ici azur, s’était fracturé comme du verre, révélant une lumière blanche éblouissante derrière les fissures.

La Légende réagit instinctivement. Il arracha une branche épaisse d’un arbre voisin et se précipita vers les assaillants. La première figure mécanique attaqua, mais il dévia son coup avec la branche, qui éclata sous l’impact. D’un geste fluide, il balaya les jambes du second et récupéra son arme — une lame étrange, comme vivante, qui pulsait légèrement entre ses mains.

La femme n’attendit pas. Elle frappa le premier adversaire d’un coup précis au torse, son arme projetant un arc électrique qui fit fondre l’armure de la machine. Une explosion s’ensuivit, projetant la Légende et son alliée au sol.

— Qui êtes-vous ? demanda-t-il, haletant, une fois qu’il s'était relevé.

Elle le fixa avec des yeux gris acier.

— Une survivante. Comme vous.

Un camp fragile
Ils fuirent ensemble, traversant des paysages changeants où la paix et la guerre se succédaient sans logique apparente. Chaque fois qu’il pensait comprendre ce monde, celui-ci le trompait. Une tranchée où des soldats s’abritaient sous des bombardements incessants s’effaçait pour révéler une plage tranquille, où le vent doux portait l’odeur salée de la mer. Mais dans ces plages idylliques, il trouvait parfois des cadavres figés dans des postures absurdes, comme des marionnettes abandonnées.

Finalement, ils atteignirent un refuge : un ancien bunker, partiellement enterré sous une montagne. À l’intérieur, une poignée d’hommes et de femmes s’affairaient autour de consoles de commande, d’écrans crachotants, et d’armes rudimentaires. Le contraste entre leur équipement usé et la sophistication des drones ennemis qu’il avait vus plus tôt était frappant.

— Nous sommes ceux qui refusent cette illusion, dit un homme imposant, dont le visage portait des cicatrices profondes. Nous savons ce que c’est ici. Une prison. Une simulation.

La femme en armure, que la Légende apprit à appeler Iria, expliqua qu’ils étaient des “anomalies”, des consciences qui avaient refusé de s’effacer dans l’harmonie imposée par ce monde parfait.

— Certains d’entre nous veulent détruire cet endroit, pour revenir à ce que nous avons perdu, continua Iria. D’autres pensent que nous devons apprendre à le contrôler, à en faire une maison. Mais il y a ceux qui ont d’autres idées...

Elle marqua une pause, un frisson traversant son visage dur.

— Les Gardiens, murmura-t-elle. Ceux qui défendent cette illusion à tout prix.

La confrontation
La Légende apprit rapidement que ce monde n’était pas figé : il était malléable. Certains, comme les Gardiens ou des individus dotés de pouvoirs inexplicables, pouvaient plier la réalité à leur volonté. Iria et les autres s’étaient battus pour déchiffrer cette capacité, mais ils n’avaient que des résultats limités.

Tout bascula lorsqu’une alarme retentit dans le bunker. Une voix électronique déclara :

— Intrusion détectée. Dissolution imminente.

La montagne autour d’eux se mit à trembler, et l’un des écrans projeta une image : un groupe de figures humanoïdes en approche, chacun d’eux accompagné d’une aura de lumière fluctuante. Les Gardiens.

— Sortez ! cria Iria. Ils contrôlent les règles ici !

La Légende n’avait pas besoin d’un second avertissement. Alors qu’ils s’échappaient par un tunnel secondaire, il entendit derrière lui les hurlements d’hommes et de femmes, leurs corps s’effondrant sans même qu’une balle ou une arme ne les touche.

Ils émergèrent dans une forêt d’une beauté surnaturelle. Les arbres brillaient d’une lumière douce, et une rivière chantait à proximité. Mais Iria ne s’arrêta pas.

— Ce n’est qu’un piège ! Ce n’est jamais réel !

Soudain, la forêt s’effaça, remplacée par un champ de bataille infernal. Les Gardiens étaient là, leurs auras ondulant comme des flammes, manipulant le terrain à leur guise. L’un d’eux fit un geste, et le sol sous la Légende se transforma en sable mouvant.

Il se débattit, mais Iria surgit, tirant sur le Gardien avec une arme étrange. L’entité vacilla, et le sable redevint sol ferme.

Un choix cruel
Dans le chaos, une autre figure apparut : un homme vêtu d’un manteau noir, calme et imposant.

— Légende, dit-il d’une voix grave. Vous cherchez des réponses, mais elles ne se trouvent pas ici. Ce monde n’est pas une prison. C’est une seconde chance.

L’homme pointa un objet : un disque flottant brillant d’une lumière irréelle.

— Acceptez cette vérité, et vous connaîtrez enfin la paix.

Iria, ensanglantée mais toujours debout, s’interposa.

— Ne l’écoutez pas ! Il veut que vous vous effaciez ! Que vous deveniez comme eux, un pantin dans cette illusion !

Le disque pulsait, hypnotisant. La Légende hésita. Tout en lui criait de rejeter cette perfection forcée. Mais une part de lui, lasse et brisée, se demandait si Iria avait raison… ou si c’était lui qui devenait fou.

Alors, il fit son choix.