Quelle est l’origine, s’il y en a une, de cette maladieiv de type névrotique caractérisant l’occidental ? On est obligé·es de devenir un minimum ethnologues ! Qu’est-ce qui fait que certaines sociétés ont un haut degré d’harmonie écologique (mentale, sociale, environnementale) ? Et dans lesquelles il n’y a ni pouvoir coercitifv, ni névrose généralisé, ni destruction des écosystèmes ! Le pouvoir coercitif émergerait-il là où il y a un haut degré d’harmonie écologique ? Et si la réponse était négative, quelles fonctions, processus, rôles et agencements la rendraient possible ? Est-ce la clé pour comprendre la nature de ce trouble et le pire de ses symptômes ? De même que pour le développement de nos remèdes, non pas comme potions miraculeuses mais comme processus thérapiques ? Qu’ont ces tribus, ces sociétés, dont l’occident manque ? Au-delà de la démographie… il y a peut-être quelques fonctions qui opèrent comme régulatrices écologiques. Et s’il y a bien un personnage perçu par l’occidental comme le plus étrange, le plus incompréhensible, et même historiquement le plus méprisable, c’est bien le chaman ! C’est sûrement chez elle·lui qu’on peut trouver quelques réponses !
Si on pense au chaman non pas comme individu mais comme fonction connective, on peut considérer l’occident comme fonction-coupure. Le chaman connecte le monde des humains et le monde des espritsvi, le monde conscient et le monde inconscient, le monde intérieur et le monde extérieur, nature et culture étant un seul et même tissu, tandis que l’esprit « occident » extirpe, tranche, cisaille, débranche, désarticule : corps-psyché, nature-culture, intérieur-extérieur, objet-sujet, affects-raison, ville-campagne, sciences « dures »-sciences humaines… La fonction-chaman nous met face à l’existence – la vie, la mort, la souffrance... –, aux rapports écologiques comme tissage entre le mental, le social et l’environnemental, tandis que la fonction-occident arrange les choses pour constituer la fuite comme fondation de toute activité. En ce sens, l’occident catalyse la négation, la névrose, et rend de plus en plus difficile le bricolage de territoires existentiels, tandis que les processus chamaniques font exactement le contraire, ils sont par essence thérapiques. Le chaman·e est spirituel·le puisque trans-sensiblevii, l’occidental est malade puisque spécialiste désarticulé. Ce constat devrait être la base de toute tentative analytico-pratique concernant la folie, le capitalisme, le pouvoir, le fascisme, la guérison et toute praxis révolutionnaire.
L’occidental est piégé dans un sorte de boule de neige ou de boucle mortifère : il développe par la voie du spécialisme des chimio et psycho-thérapies spécifiques et complexes pour traiter les symptômes d’une maladie qui est elle-même engendrée par les coupures et désarticulations propres/inhérentes au spécialisme. Un minimum de mixage de disciplines et d’expériences nous montre que la seule voie de guérison culturelle possible est précisément celle de la transversalité, puisqu’à force de faire des connexions, de mélanger une diversité d’expériences, de domaines, disciplines et pratiques, elle produit/génère/engendre en nous une multiplicité de sensibilités, nous permettant de capter, de réaliser, de sentir de mieux en mieux notre place et nos rapports dans le tissu machinique de l’écologie mentale, sociale et environnementale. Elle nous embarque dans des processus de rebranchement, de mixage et de débouchement, de ré-articulation de tout ce qu’on s’était efforcé à séparer, refouler ou nier. De fluidification de tout ce qui était devenu rigide. La transversalité est à la fois une démarche, une pratique, une analytique… une attitude face à la vie. Une conséquence de la nature rhizomatique du désir : laissons le désir nous guider, couler, et nous serons automatiquement dans les ruisseaux, veines et bronchioles de la transversalité ! C’est dans cette navigation-là que les concepts de santé, écologie, politique et spiritualité deviennent indissociables. À partir d’elle, hormis tout mysticisme et dogmatisme, on peut concevoir l’humain.e spirituelle comme celle.lui chez qui opèrent les trans-sensibilités. Des sensibilités propres à la démarche transversale. Autrement dit : transversalité∞trans-sensibilités∞spiritualité. Et qui est véritablement r-évolutionnaire si ce n’est l’humain·e spirituel·le, artiste et médecin ?