La maire de Paris, Anne Hidalgo, a récemment annoncé qu'elle allait lancer une étude sur la gratuité des transports en commun à Paris. Est-ce réaliste pour une ville comme Paris ? Comment fonctionne la gratuité dans les villes qui l'ont mise en place ? Décryptage.
Des avantages... et de nombreux inconvénients
En France, plusieurs agglomérations pratiquent la gratuité. Aubagne, Niort, Châteauroux ainsi que des villes plus petites comme Vitré, Issoudun et Libourne.
Les avantages
- Augmentation de la fréquentation des transports en commun : +80% à Châteauroux la première année
- Plus besoin de contrôleurs.
- Plus besoin de validateurs.
Les revers de la gratuité
La gratuité n'a pas que des avantages. Dans les villes où la gratuité a été mise en place, plusieurs inconvénients ont été observés.
- Augmentation du nombre de passagers "flemmards". Là où il y a la "gratuité", il y a davantage de gens qui attendent le bus pour faire un arrêt ou deux seulement, ce qui augmente la congestion des lignes, ce qui est problématique aux heures de pointe. Pour compenser, les opérateurs de transports peuvent être contraints de mettre davantage de bus en circulation. Davantage de bus en circulation, ça veut dire davantage de bus à entretenir, et davantage de conducteurs à payer, donc des coûts d'exploitation plus élevés que sur une ligne normale. Le surcoût est répercuté soit sur la qualité du service, soit sur les investissements, soit sur la fiscalité.
- Augmentation de la fiscalité, que ce soit pour les particuliers (via la taxe d'habitation et/ou la taxe foncière) ou les entreprises (via le versement transport). À Aubagne par exemple, le versement transport a été multiplié par trois, passant de 0,6 à 1,8%.
- Une diminution de la part modale des modes doux. Dans les villes où la gratuité a été mise en place, la part modale de la marche à pied et du vélo a diminué au profit du bus. Dans le même temps, la part modale de la voiture n'a que faiblement diminué.
- Augmentation des actes de vandalisme : à Châteauroux, les sièges recouverts tissu ont dû être remplacés par des sièges en plastique, plus résistants.
- Des horaires réduits. À Châteauroux, les lignes principales ne commencent à circuler qu'un peu avant 7 heures du matin et s'arrêtent vers 20 heures. À Niort, ce n'est pas mieux, les lignes ne circulent que jusqu'à 21 heures.
- Moins d'investissements. D'après les observations de la Fédération nationale des usagers des transports en commun (FNAUT), les villes qui ont mis en place la gratuité ont davantage de mal à moderniser leurs réseaux, que ce soit pour renouveler le matériel ou développer des lignes de transports en commun en site propre (TCSP).
Ce qu'on peut constater, c'est que la gratuité n'est pas si avantageuse. Les agglomérations françaises qui ont mis en place la gratuité sont mal dotées en lignes de TCSP et le service est quasi-inexistant avant 7 heures du matin et après 21 heures. Pour les gens qui travaillent très tôt le matin ou qui travaillent tard le soir, les transports en commun restent donc peu attractifs face à la voiture. Ce qu'on constate partout, c'est que la "gratuité" est en fait très coûteuse. En Belgique, la ville de Hasselt a dû revenir en arrière car la gratuité pesait trop lourd sur les finances locales.
La "gratuité" n'existe pas
Parler de "gratuité" des transports en commun est un abus de langage. La "gratuité" des transports en commun, ça n'existe pas ! Pour que les transports en commun fonctionnent, il faut acheter du matériel roulant, l'entretenir, et payer les gens qui permettent à un réseau de fonctionner.
En France, les coûts de fonctionnement sont couverts par les usagers (avec les tickets et les abonnements), les contribuables (via les impôts locaux) et les entreprises (notamment via le versement transport). Dans la plupart des agglomérations, la part couverte par les titres de transports est d'environ 30%. En Île-de-France, c'est près de 40%.
Si le budget des transports en commun était amputé de 40% en région parisienne, il y aurait soit une diminution de la qualité du service (qui est déjà insuffisante sur de nombreuses), soit une forte augmentation de la fiscalité (ce qui impacterait les entreprises locales ainsi de très nombreux usagers). D'après les chiffres du Groupement des autorités organisatrices des transports (GART), les entreprises et les administrations contribuent à hauteur de 47% du coût des transports en commun, via le versement transport. Dans les villes qui ont mis en place la gratuité, la part du coût financée par les usagers ne dépassait pas 20% la plupart du temps.
La nécessité d'investissements massifs
Il faut être réaliste : si on veut développer l'usage des transports en commun, il ne suffit pas d'avoir une tarification abordable, il faut surtout qu'ils soient attractifs. Et pour être attractifs, il faut qu'ils soient rapides, pratiques et fiable.
En région parisienne, les transports en commun sont très fréquentés. Rappelons que l'Île-de-France est la région la plus peuplée de France. Dans Paris intra-muros, la densité de population est de près de 21 000 habitants au km² ! Paris intra-muros, c'est plus de 2,2 millions d'habitants sur 105 km² seulement. C'est une ville très embouteillée, et tout le monde ne peut pas se déplacer en voiture. Il n'est donc pas surprenant que l'usage des transports en commun (notamment du métro) y soit très important. À cela, il faut aussi rajouter les gens qui viennent de la proche-banlieue ou de la grande banlieue, que ce soit en métro, bus, tramway ou RER.
En Île-de-France, de nombreuses lignes de transports en commun sont saturées, ou au bord de la saturation.
Pour faire face à la congestion du réseau, il est donc nécessaire de moderniser les lignes existantes et d'en construire de nouvelles. Les exemples des lignes 1 et 14 ont montré que l'automatisation était bénéfique. C'est la ligne 14 (entièrement automatique depuis ses débuts) qui est la plus régulière et qui offre la meilleure qualité de service, suivie de près par la ligne 1. En province, les exemples de Lille, Toulouse et Rennes montrent aussi l'efficacité du fonctionnement automatique.
Un réseau RER saturé
Pour les lignes de RER, il est nécessaire d'acheter de nouveaux trains pour remplacer le matériel roulant vieillissant. Le RER A par exemple, transporte 1,4 million de voyageurs en moyenne en semaine, ce qui est en fait l'une des lignes les plus fréquentées d'Europe ! La ligne traverse la capitale d'Est en Ouest et dessert des lieux comme le quartier d'affaires de La Défense (premier quartier d'affaires d'Europe continentale), des gares ferroviaires ainsi que plusieurs universités. Il va donc de soit que la fréquentation est très importante.
En 2015, 84,5% des trains arrivaient à l'heure ou avec moins de 5 minutes de retard. Sur le tronçon Nanterre-Cergy, le taux de ponctualité n'était que de 70,7% ! La ligne D ne fait pas beaucoup mieux, avec une ponctualité de 86,6%. Pour moderniser le RER, il va falloir augmenter la capacité des voies et remplacer le matériel roulant ancien par des trains plus modernes et plus capacitaires. Et cela coûte évidemment cher.
Des lignes de tramway saturées peu de temps après leur mise en service
À Paris intra-muros et en banlieue, des lignes de bus saturées ont été remplacées par des lignes de tramway. Mais cela ne suffit pas. En Seine-Saint-Denis, le tramway T1, mis en service en 1991, est en sous-capacité et a besoin de rames plus longues pour transporter 150 000 passagers/jour. La ligne T5, mise en service en 2013, s'est retrouvée saturée au bout de quelques semaines seulement, notamment parce que les rames étaient sous-dimensionnées (25 mètres seulement). Dans les Hauts-de-Seine, la ligne T2 (qui dessert le quartier d'affaires de La Défense) est saturée, malgré des rames longues couplées et un tracé isolé des voitures sur une bonne partie de la ligne.
Le Grand Paris Express
Pour décongestionner le réseau francilien, l'État, les collectivités et la RATP prévoient de construire 4 nouvelles lignes de métro automatique. Il est aussi prévu de prolonger les lignes 11 et 14. Mais vous vous doutez bien que construire une ligne de métro, ça coûte très cher. Si on se base sur les projets récents à Lyon, Rennes et Toulouse par exemple, on peut dire que la construction d'un métro coûte entre 70 et 150 millions d'euros/km.
En région parisienne, les lignes coûtent plus cher, et souvent les coûts dérapent. Le coût du projet du Grand Paris Express était estimé à 25,5 milliards d'euros. D'après la Cour des Comptes, le coût serait plutôt de 38,5 milliards d'euros.
Une mesure démagogique et coûteuse
Anne Hidalgo a très probablement vu dans la presse que les sondages la donnaient perdante aux élections municipales de 2020. Pouvoir dire aux électeurs "regardez, grâce à moi, vous ne payez plus les transports en commun", c'est un argument électoral percutant. Sauf qu'il ne faut pas oublier que rien n'est vraiment gratuit, et derrière, ce sont les contribuables qui finissent tout. Et bien sûr, si elle est candidate à sa réélection, Hidalgo se gardera bien de dire aux Parisiens que les impôts locaux ont augmenté à cause d'elle.
Les alternatives à la gratuité
Il existe plusieurs alternatives à la gratuité, par exemple la tarification "solidaire". À Strasbourg, depuis que cette mesure a été mise en place, la fréquentation du réseau a augmenté, et la fraude a diminué ! En 2014, 57,5% des usagers bénéficiaient d'une réduction du prix de leur abonnement au titre de la tarification solidaire. En conservant un financement par les usagers, l'Eurométropole peut se permettre de prolonger les lignes existantes. Depuis avril 2017, la ligne D traverse même la frontière pour aller vers la petite ville allemande de Kehl, de l'autre côté du Rhin.
Dans les autres villes qui ont mis en place une tarification solidaire, on a aussi pu observer une augmentation de la fréquentation et une diminution de la fraude. Et contrairement aux villes qui ont mis en place la gratuité, les villes qui ont conservé un réseau payant continuent le développement de leurs réseaux, que ce soit avec de nouvelles lignes, des extensions de lignes existantes ou une modernisation du matériel roulant.
L'exemple de la tarification solidaire montre qu'il est possible de rendre les transports en commun plus accessibles sans pour autant renoncer aux investissements importants. Cependant, il ne faut pas se leurrer, là-aussi, c'est compensé en partie par les usagers qui payent plein tarif et les contribuables qui paient des impôts. Il ne faut pas non plus oublier que pour les salariés, l'employeur prend 50% du coût en charge.
Pour conclure, on peut donc dire que si on veut des transports de qualité, avec des lignes performantes et des horaires larges, la gratuité est clairement une fausse bonne idée.
Sources
Articles sur les villes qui ont mis en place la gratuité
https://www.franceinter.fr/emissions/le-zoom-de-la-redaction/le-zoom-de-la-redaction-26-septembre-2017
http://www.lemonde.fr/economie/article/2012/10/19/a-chateauroux-le-pari-risque-de-la-gratuite-des-bus_1774971_3234.html
http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2017/08/30/01016-20170830ARTFIG00129-le-bus-gratuit-arrive-a-dunkerque.php?redirect_premium
http://www.levif.be/actualite/belgique/hasselt-supprime-les-transports-en-commun-gratuits/article-normal-78851.html
https://www.gart.org/wp-content/uploads/2017/10/Gratuit%C3%A9-dans-les-transports-publics_Position-du-GART_Septembre-2017.pdf
https://reporterre.net/Et-si-la-gratuite-des-transports-n
Articles sur l'état du réseau francilien
http://bfmbusiness.bfmtv.com/entreprise/ratp-quelles-sont-les-pires-lignes-de-metros-et-rer-954759.html
http://www.leparisien.fr/espace-premium/seine-saint-denis-93/t1-de-nouvelles-rames-en-2019-si-les-communes-font-les-travaux-04-03-2015-4572685.php
http://www.leparisien.fr/info-paris-ile-de-france-oise/transports/les-usagers-du-tram-de-la-defense-saturent-19-02-2018-7568127.php
http://www.leparisien.fr/espace-premium/seine-saint-denis-93/le-t5-renforce-pour-lutter-contre-sa-saturation-03-03-2014-3637819.php
http://www.leparisien.fr/info-paris-ile-de-france-oise/transports/seine-saint-denis-et-val-d-oise-malgre-la-saturation-les-nouvelles-rames-du-tramway-t5-en-retard-19-03-2018-7617438.php
https://www.francebleu.fr/infos/societe/transport-en-ile-de-france-les-trams-sont-satures-des-leur-mise-en-service-1389153000
https://www.latribune.fr/economie/france/grand-paris-express-pourquoi-les-couts-ont-derape-selon-la-cour-des-comptes-765123.html
https://www.lesechos.fr/14/12/2017/lesechos.fr/0301028237362_la-ratp-debloque-1-74-milliard-d-euros-pour-moderniser-son-reseau.htm
Informations complémentaires sur d'autres réseaux
https://www.ladepeche.fr/article/2017/03/07/2530341-prix-3e-ligne-metro-fait-toujours-polemique.html
https://www.lesechos.fr/14/09/2017/lesechos.fr/030563253408_la-gratuite-des-transports-en-commun--un-sujet-qui-divise.htm
https://www.strasbourg.eu/tarification-solidaire-transports-en-commun
https://www.strasbourg.eu/extension-de-la-ligne-de-tram-d-vers-kehl
Un sujet vraiment étudié en profondeur ! Mais je ne suis pas en accord avec toi, malheureusement, je manque de temps pour le démontrer. J'espère pouvoir bientôt faire un article comme le tiens pour exposer mon point de vu. En tous cas bon travail.
Votez Open Computer : https://lafabrique-france.aviva.com/voting/projet/vue/30-907
Tout travail mérite salaire et tout service mérite payement!!!
Il y forcément quelqu un qui va payer!!!
Tu n'as pas étudié la question à moitié ! Cela permet de bien comprendre le sujet et de se faire sa propre idée. En ce qui me concerne j'ai constaté avec regrets que tout ce que nous donnons perd immédiatement sa valeur réelle. Résultats: un manque d'intérêt, de respect, de soins et d'attention.
Dans mon secteur rural les bus sont à 1.50euro quel que soit le trajet et cela peut aller de 1 à 40km. Les gens n'ont pas l'air de se plaindre et pour le moment cela fonctionne bien.
merci intéressant tout ça !